« Au coeur du progrès »
Une exposition dans l’ancienne mine de Lewarde sur l’univers industriel.
Au centre de l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais, « Au cœur du progrès » présente un aperçu d’une riche collection constituée autour d’un thème unique : l’industrie. Elle appartient au collectionneur américain John Eckblad qui, avec son épouse Susan, a réuni depuis 1974 plus de 750 gravures, affiches et objets d’artistes internationaux.
Le visiteur découvre une sélection de plus de soixante œuvres, en majorité des gravures, autour des thèmes du charbon, du fer et de l’acier.
« Depuis 35 ans, je continue à chercher des images tout aussi captivantes dans la vie comme dans l’art. » John Eckblad
La découverte par John Eckblad à l’âge de 9 ans des exploitations minières de Pennsylvanie est de, son propre aveu, le point de départ de sa fascination pour les paysages industriels. Plus tard, son travail de consultant pour un groupe pétrochimique lui fera côtoyer avec le même enthousiasme des sites d’industrie lourde. Les œuvres de sa collection lui permettent de revivre son émerveillement premier et sont en quelque sorte sa « madeleine de Proust ».
Après une tournée américaine, l’exposition voyage désormais en Europe. Sa présentation au Centre Historique Minier permet de la montrer là même où est née l’industrie. Outre son intérêt esthétique, « Au cœur du progrès » est une source documentaire exceptionnelle qui témoigne de la révolution industrielle à travers la transformation des paysages sur plus de deux siècles. L’exposition révèle aussi comment commanditaires et artistes percevaient, ou ont voulu dépeindre, les mineurs et les ouvriers. Passionnant.
Paysages miniers et industriels
Surprise : les vues du monde industriel datant de la première partie du 19e siècle donnent à voir des paysages champêtres, telle la série des lithographies du Britannique Thomas H. Hair, qui représentent le nord-est de l’Angleterre. Un rappel que le Révolution industrielle a commencé non dans les villes, mais dans les campagnes, au plus près des matériaux bruts (charbon, minerai de fer) et des voies fluviales qui en assuraient le transport.
Si l’Angleterre faisait figure de leader, des poches isolées de développement industriel précoce existaient en Europe continentale. Pour preuve, une étonnante « Vue de la fonderie et des forges du Creusot », eau-forte réalisée par un anonyme après 1790. En 1782, une fonderie royale, destinée à produire des canons, est construite au Creusot pour profiter des ressources en houille et en minerai de fer de la région. La manufacture a cependant plus des allures de château que d’usine.
L’industrie est perçue tantôt comme la voie vers la prospérité, tantôt comme une menace. Ainsi, les cheminées d’usine, emblématiques des paysages industriels, apparaissent autant comme un symbole positif, une promesse de prospérité ( « Les usines » de Jean-Emile Laboureur) que comme une source de pollution, voire une menace (« The Black Country near Bilston » de Henry Warren, « Le port de Rotterdam » de Maximilien Luce).
Loin de cette veine réaliste et documentaire, Edward Wadsworth s’intéresse surtout à la forme. Graphiques, ses très belles gravures sur bois (« Yorkshire », « Blast Furnaces ») ne sont pas sans rappeler le décor en déséquilibre du film expressionniste allemand réalisé par Robert Wiene « Le Cabinet du docteur Caligari », qui date lui aussi des années 1920.
Portraits de mineurs et d’ouvriers
L’exposition « Au cœur du progrès » éclaire également sur les conditions de travail des mineurs et des ouvriers tout autant que sur le regard qu’artistes et commanditaires portent à ces derniers.
De nombreuses gravures n’occultent pas les conditions de travail, particulièrement pénibles. C’est le cas avec « Lymington Iron Works on the Tyne » (« La sidérurgie de Lymington sur la Tyne ») de Thomas Allom. Sur cette gravure colorée à la main, des hommes, au moyen de longues perches, remuent le métal liquide dans le fourneau afin d’en supprimer les impuretés. L’éclat sortant du four permet d’imaginer la chaleur qui accablait les hommes.
D’autres artistes choisissent des cadrages plus serrés. Gustave Pierre montre dans ses eaux-fortes des mineurs accroupis au fond de la mine, torse nu, visage noir, ou sortant du travail le dos courbé et le regard vide (« Mineurs au repos au fond » ; « Mineurs quittant le travail »).
La figure du mineur est parfois élevée au rang de héros. C’est le cas avec « Les Mineurs du Borinage » de Constantin Meunier, qui présente au premier plan une tête d’homme tout en force, pommettes saillantes, front large, profil altier, incarnation de la noblesse ouvrière.
En fin de parcours, le visiteur pourra contempler les trois superbes manières noires datant de 1997 de l’américain Craig Mcpherson. La manière noire est un procédé de gravure particulièrement long et fastidieux qui produit une grande finesse de dessin. Il faut à Craig Mcpherson, qui travaille sans assistant, plusieurs mois pour finaliser une gravure. Une manière de quitter le monde de la reproduction industrielle pour renouer avec celui de l’artisanat.
Centre Historique Minier de Lewarde
Du 31 août au 31 décembre 2015
En savoir plus : http://www.chm-lewarde.com/fr/index.html
Crédits fournis par le musée :
– Les usines, Jean-Emile Laboureur (1902) © Collection John P. Eckblad
– Yorkshire, Edward Wadsworth (1920) © Collection John P. Eckblad
– L’usine, Roger Casse (vers 1930) © Collection John P. Eckblad
– La Femme-Usine, Pascale Hémery (1998) © Collection John P. Eckblad
– Illustration du programme de théâtre « Les Tisserands », Henri-Gabriel Ibels (1892/3) © Collection John P. Eckblad
– Teeming Ingots (Men and Steel), Jackson Lee Nesbitt (1938) © Collection John P. Eckblad
Sandrine D.